8.3 Surjectivité et injectivité

8.3.1 Domaine et image

Soit \(T:V\rightarrow W\) une application linéaire, où \(V\) et \(W\) sont des espaces vectoriels à scalaires dans un corps \(\mathbb{K}.\)

\(V\) est le domaine de \(T\) et \(W\) est le codomaine de \(T\). L’image de \(T,\) dénoté par \({\operatorname{image}({T})},\) est l’ensemble de tous les vecteurs de \(W\) que l’on peut atteindre par \(T\), c’est-à-dire \[{\operatorname{image}({T})} = \{ T(\mathbf{u}) \,:\,\mathbf{u} \in V\}.\] Par exemple, si \(T\) est donné par \(T(\mathbf{u}) = \mathbf{A}\mathbf{u},\)\(\mathbf{A}\) est une matrice, alors \({\operatorname{image}({T})} = {\operatorname{Col}({\mathbf{A}})}.\)

8.3.2 Surjection

On dit que \(T\) est surjective si son image et son codomaine sont les mêmes. Ceci veut dire que chaque vecteur de \(W\) peut être atteint par \(T.\) Si \(T\) est surjective, on dit que c’est une surjection.

Exemple 8.5 Soit \(T:\mathbb{Q}^2\rightarrow \mathbb{Q}^2\) donnée par \(T\left(\begin{bmatrix} x_1\\x_2\end{bmatrix}\right)= \begin{bmatrix} x_1-x_2\\-x_1+x_2\end{bmatrix}.\) Notons que chaque vecteur de \({\operatorname{image}({T})}\) est de la forme \(\begin{bmatrix} a\\-a\end{bmatrix}\) puisque \(-x_1+x_2 = -(x_1-x_2).\) Puisqu’il existe des vecteurs dans \(\mathbb{Q}^2\) qui n’ont pas cette forme (\(\begin{bmatrix} 1\\0\end{bmatrix}\), par exemple), \(T\) n’est pas surjective.

Puisque l’image de \(T\) est un sous-espace de \(W,\) on peut établir la surjectivité en vérifiant si \({\operatorname{image}({T})}\) et \(W\) on la même dimension, tant et aussi longtemps que \(W\) soit de dimension finie.

Par exemple, si \(T\) est donnée par \(T(\mathbf{u}) = \mathbf{A}\mathbf{u}\), pour une matrice \(\mathbf{A},\) \(T\) est une surjection si et seulement si le rang de \(\mathbf{A}\) et la dimension du codomaine sont égaux. (Rappel : \(\operatorname{rang}\left ({\mathbf{A}} \right) = \dim({\operatorname{Col}({\mathbf{A}})}).\))

8.3.3 Injection

On dit que \(T\) est injective si \(T(\mathbf{u}) \neq T(\mathbf{v})\) lorsque \(\mathbf{u} \neq \mathbf{v}.\) Ceci implique que l’image de deux éléments distincts de \(V\) par \(T\) contient deux vecteurs distincts de \(W\). Si \(T\) est injective, on dit que c’est une injection.

Exemple 8.6 Considérons la même application \(T\) que dans l’exemple 8.5. Elle n’est pas injective puisque pour chaque \(a\in\mathbb{Q},\) \[T\left(\begin{bmatrix} a\\a\end{bmatrix}\right) =\begin{bmatrix} a-a\\-a+a\end{bmatrix} =\begin{bmatrix} 0\\0\end{bmatrix}.\]

Le résultat suivant permet de facilement vérifier si une application linéaire est injective.

Théorème 8.1 Soit \(T:V \rightarrow W\) une application linéaire. Alors \(T\) est injective si et seulement si \(\ker(T) = \{ \mathbf{0}_V \}.\)

Démonstration. S’il existe \(\mathbf{u} \in \ker(T),\)\(\mathbf{u} \neq \mathbf{0},\) alors \(T(\mathbf{u}) = T(\mathbf{0}_V) = \mathbf{0}_W,\) ce qui implique que \(T\) n’est pas injective.

Réciproquement, supposons que \(\ker(T) = \{ \mathbf{0}_V\}.\) Soient \(\mathbf{u}\) et \(\mathbf{v}\in V\) tels que \(T(\mathbf{u}) = T(\mathbf{v}).\) Alors \(T(\mathbf{u}-\mathbf{v}) = T(\mathbf{u})-T(\mathbf{v}) = \mathbf{0}_W,\) ce qui implique que \(\mathbf{u}-\mathbf{v}\in \ker(T).\) Puisque \(\ker(T) = \{ \mathbf{0}_V \},\) on doit avoir \(\mathbf{u}-\mathbf{v} = \mathbf{0}_V,\) d’où \(\mathbf{u}=\mathbf{v},\) et \(T\) est injective.

Par exemple, si \(T\) est donnée par \(T(\mathbf{u}) = \mathbf{A}\mathbf{u}\) pour une matrice \(\mathbf{A},\) alors \(T\) est une injection si et seulement si la nullité de \(\mathbf{A}\) est 0.

Exemple 8.7 Soit \(T:\mathbb{R}^3 \rightarrow \mathbb{R}^2\) une application linéaire donné par \[T~\left ( \begin{bmatrix} a \\ b \\ c\end{bmatrix} \right ) = \begin{bmatrix} a-b-c \\ -a + b\end{bmatrix}.\] Notons que \[T~\left ( \begin{bmatrix} a \\ b \\ c\end{bmatrix} \right ) = \mathbf{A} \begin{bmatrix} a\\b\\c\end{bmatrix},\]\(\mathbf{A} = \begin{bmatrix} 1 & -1 & -1 \\ -1 & 1 & 0\end{bmatrix}.\) La forme échelonnée réduite de \(\mathbf{A}\) est \(\begin{bmatrix} 1 & -1 & 0 \\ 0 & 0 & 1\end{bmatrix},\) d’où le rang de \(\mathbf{A}\) est \(2\) et la dimension de son noyau est 1. Puisque le rang est égal à la dimension du codomaine \(\mathbb{R}^2,\) on voit en conséquence d’une discussion préalable, que \(T\) est surjective. Mais \(T\) n’est pas injective puisque la nullité de \(\mathbf{A}\) n’est pas zéro.

8.3.4 Théorème du rang pour les applications linéaires

Le résultat suivant généralise le théorème 6.3 :

Théorème 8.2 Soit \(V\) un espace vectoriel de dimension fini. Soit \(T\) une application linéaire ayant \(V\) comme domaine. Alors, \[\dim({\operatorname{image}({T})}) + \dim(\ker(T)) = \dim(V).\]

Exercices

  1. Pour chacune des applications linéaires suivantes, déterminez si c’est surjective ou injective.

    1. \(T:\mathbb{R}^2\rightarrow \mathbb{R}^2\) donnée par \(T\left(\begin{bmatrix} x\\y\end{bmatrix}\right) = \begin{bmatrix} x+y \\ 2x-y \end{bmatrix}.\)

    2. \(T:\mathbb{C}^2\rightarrow \mathbb{C}^3\) donnée par \(T(\mathbf{z}) = \mathbf{A}\mathbf{z}\), où \(\mathbf{A} = \begin{bmatrix} i & 2 \\ -1 & 1 \\ 0 & 1 \end{bmatrix}.\)

    3. \(T:P_2(\mathbb{R}) \rightarrow \mathbb{R}^2\) donnée par \(T(ax^2+bx+c) = \begin{bmatrix} a+b \\ b-c\end{bmatrix}.\)

Solutions

    1. Notons que \(T\left(\begin{bmatrix} x\\y\end{bmatrix}\right)\) est donnée par \(\begin{bmatrix} 1 & 1 \\ 2 & -1\end{bmatrix} \begin{bmatrix} x \\ y \end{bmatrix}.\) La matrice est de rang \(2\) et donc \(T\) est surjective et injective.

    2. Puisque \(\mathbf{A}\) est de rang \(2,\) \(T\) est une injection mais pas une surjection.

    3. \(T\) est une surjection puisque pour chaque \(\begin{bmatrix} s\\ t \end{bmatrix} \in \mathbb{R}^2,\) \[T( s x^2 - t ) = \begin{bmatrix} s \\ t \end{bmatrix}.\] Ce n’est pas une injection car \[T( x^2 - x - 1) = \begin{bmatrix} 0 \\ 0 \end{bmatrix}\] et \(x^2 - x -1\) n’est pas nul.